« Bien sûr je te ferai mal. Bien sûr tu me feras mal. Bien sûr nous aurons mal. Mais ça c’est la condition de l’existence. Se faire printemps, c’est prendre le risque de l’hiver. Se faire présent, c’est prendre le risque de l’absence. C’est à mon risque de peine que je connais ma joie. »
Antoine de Saint-Exupéry Le Petit Prince
À l’origine il y a eu un frottement, une friction entre deux planètes, deux univers, deux mondes, deux êtres, deux corps, deux énergies, deux sexes complémentaires.
De ce frottement, est né un lien, une connexion entre deux âmes. Qui en a généré une, entre un ovule et un spermatozoïde, qui en ont généré d’autre, entre plusieurs cellules. Qui ont créé du lien pour devenir embryon. Qui à lui-même à rencontré une paroi utérine et qui s’y est niché.
Alors un nouveau lien s’est créé entre l’embryon et la matrice, puis entre le fœtus et le placenta et enfin entre le bébé et sa mère.
Nous savons aujourd’hui grâce aux recherches de Laurence De Labaume (2) que l’embryon va être informé par les battements (fréquence cardiaque) du cœur de sa mère dès ses 3 semaines de vie. Toute notre histoire est donc une histoire de lien, de rencontres, de connexions, qui se sont plus ou moins bien faites.
Au départ, nous sommes fusionnés au cœur du ventre de notre mère, nous ne faisons qu’un(e) avec elle et c’est de ce lien fusionnel, qu’il va falloir s’émanciper tout au long de notre vie. Arouna Lipschtiz (3), nomme cette nostalgie de la fusion matricielle, « la nostalgie de l’ailleurs ». Cet espace où nous n’étions pas séparés du grand tout qu’était notre mère créatrice. Si nous nous autorisons à prendre un peu de hauteur d’un point de vue spirituel, nous pouvons aussi imaginer que « la nostalgie de l’ailleurs » serait notre fusion avec la source. Bien avant que notre âme n’ait été appelée pour s’incarner sur cette terre. Ce lien indéfectible que nous recherchons tous à travers nos rencontres terrestres (j’y reviendrai dans un prochain article).
En psychologie biodynamique, on appelle cette origine de l’être, le noyau sain, « Qui est le potentiel total de l’être humain, une masse essentielle et radiante qui est à la fois source et perception de la force vitale. Il ne comporte aucune dualité, pas de soit ceci/soit cela, pas de bon/mauvais. C’est un processus vibratoire indivisible dans lequel l’être connaît instinctivement la vérité en sentant les pulsations vitales. Les caractéristiques qualitatives des mouvements du noyau sont les émotions positives primales, c’est-à-dire les mouvements de contact et d’union avec le monde extérieur. On peut les résumer en une expression suprême : l’amour. » 4 C’est de ce noyau sain, de cette essence que va naître la personnalité primaire. « C’est le maternage, l’amour incarné par les contacts corporels, qui permet à l’enfant de se construire en restant relié à son noyau sain et en exprimant son potentiel à travers l’éclosion de sa personnalité primaire (5) ».
Or ce n’est malheureusement que très rarement le cas dans nos sociétés occidentales, devenues très interventionnistes dans le suivi et l’accompagnement des femmes enceintes. Elles les considèrent presque comme « des malades » qu’il faut surveiller et ausculter en permanence ; à qui il faut faire des tests de toutes sortes, allant même jusqu’à intervenir au niveau de la poche amniotique « amniocentèse » (6) (la poche amniotique étant censée être le lieu le plus sur au monde pour le développement du nourrisson). Il y a nécessité dans certain cas, mais cette intervention est pratiquée presque systématiquement en prévention de la trisomie 21. La naissance est aussi prévue à l’avance en planifiant des césariennes ou des déclenchements d’accouchement.
a. L’amour scientifié :
C’est dans le livre « l’amour scientifié » de Michel Odent (7) que l’on découvre avec horreur que l’autisme, l’anorexie mentale, le suicide chez les adolescents, la schizophrénie, le mépris de la nature, voire même l’agressivité de manière générale, n’existeraient quasiment pas dans notre société si la grossesse et la naissance étaient respectées.
b. Le concept du continuum :
Dans le livre, « le concept du continuum » , l’auteure et chercheuse Jean Liedloff (8) met en lumière l’importance du lien mère enfant depuis la minute même de la naissance du bébé. Elle nous explique comment, dans certaine tribu amérindienne, les enfants sont élevés sans aucune violence, ni punition. Les bébés dorment avec leurs parents, sont allaités à la demande et sont portés en permanence pendant leur première année de vie. Ce qui n’empêche pas les mères de continuer leurs tâches quotidiennes. C’est cette manière d’être en lien, entre adultes et enfants, respectueuse des rythmes de chacun, qui créera des adultes équilibrés et libres, qui contribueront naturellement, au bien être de la communauté. Ce bien-être indépendant venant de « la capacité d’auto-régulation » (9) base de la personnalité primaire.
c. Le Moi peau :
Cette théorie rejoint celle du « Moi-peau » de Dr Didier Anzieu (10) « la peau n’est pas qu’une enveloppe physiologique, elle a une fonction psychologique qui permet de contenir, de délimiter, de mettre en contact, d’inscrire. La peau, par ses propriétés sensorielles, garde un rôle déterminant dans la relation à l’autre.
d. La relation parent nourrissons :
Dans plusieurs de ces livre D.Winnicott (11) développe sa théorie du « holding » (portage) ou packing (emmaillotage) des tout petits pour leurs faire sentir leurs propres contours et leur permettre de retrouver de la sécurité dans « la constance ». Ce qui est la fonction de protection des agressions de l’autre et des stimuli du monde externe.
e. Aux sources de l’expérience
Ou encore selon le docteur Wilfred Bion (12) qui à développé « la théorie de l’élément et fonction alpha et de l’élément bêta » . La fonction alpha est ce processus de mentalisation du monde. Les éléments-bêta sont des impressions de sens, et les éléments-alpha sont des éléments de pensées. C’est le processus qui permet de passer de l’expérience sensorielle, à la forme mentale de cette expérience. La théorie de W.Bion démontre que, quand le bébé vient au monde, il est assailli par des sensations, des choses terribles, telle que la faim par exemple. Il ne peut contenir ces expériences en raison de l’immaturité de son développement psychique. Il ne peut en faire de « l’alpha », ce sera à l’autre (la mère, le père ) de contenir ces éléments. La mère viendra recevoir « l’identification projective » (la sensation de faim ressentie par le bébé, mais inexplicable par lui-même) et par sa capacité de rêverie le traduira à son enfant. Bion dit que « Nous naissons tous très inachevés, dans une incapacité totale à survivre seul. » (besoin d’un autre.) « Nous naissons avec une incompréhension totale du monde qui nous entoure et de ce qui nous habite. » (besoin que cet autre soit un décodeur, un traducteur.) Son immaturité motrice, affective, psychique impose au bébé d’être accompagné, accueilli par une mère qui sera la réceptrice des besoins et surtout la traductrice des sensations internes et de l’environnement. Le psychisme se développe donc sur la base d’expériences multiples traduites par la mère. Elle fait du lien entre l’enfant, ce qu’il ressent et le monde environnant. Elle traduira, pensera ces sensations pour lui, pour qu’il puisse les reprendre secondairement « La personnalité se développe dans la mesure où elle réussit à établir des liens psychiques avec les objets concrets qui l’environnent, avec les autres personnalités qui l’entourent et avec elle-même. […] Cette activité de liaison implique une pensée et un appareil de pensée capables d’intégrer et d’élaborer les données de l’expérience dans des ensembles de plus en plus cohérents »(13) C’est comme chez les moineaux, chez qui la mère prémâche la nourriture avant de leur donner la becquée. Devant une expérience de faim, la mère va venir tempérer cette explosion interne, de par ses paroles, « mais tu as faim, tu veux manger ». Elle donne du sens aux sensations corporelles ressenties par le nourrisson. Si elle lui change sa couche à la place, elle brouillera les pistes de la compréhension du tout petit. La mère doit donc mettre en place une certaine fonction d’accordage (14) ou de miroir (15), pour que l’enfant se sente rejoint, compris et qu’il puisse comme dédramatiser la prochaine fois qu’il sentira la faim qui se réveiller dans son ventre. Car il saura que sa maman sait ce dont il a besoin et va y répondre rapidement. La psyché de l’enfant qui grandit dans un environnement sécurisé, va voir la fonction alpha de la mère se développer en lui. Il pourra lui-même se mettre à intégrer peu à peu l’expérience. Ce retournement de dehors vers le dedans (ce que la mère à appris à l’enfant, il se l’approprie) se nomme « l’introjection », processus développé par S.Ferenczi (16). Ces études montrent qu’il y a une importance primordiale du lien entre le bébé et sa mère, l’importance de respecter son rythme et de répondre à ses besoins de façon affectueuse, car comme le montre une étude faite par H.Harlow (17) sur de jeunes macaques mis en cage et isolés, l’attachement à la mère peut être déterminant dans le développement des primates. Ses travaux ont contribué à l’élaboration de la théorie de l’attachement, développé par le psychiatre Américain John Bowlby (18), le premier Psychiatre qui a démontré que le bébé n’a pas que des besoins physiologiques, mais également des besoins affectifs, notamment le besoin de sécurité émotionnelle qu’il a nommé « l’attachement ». L’attachement, la création du lien chez le bébé se fait progressivement, c’est un besoin de sécurité émotionnelle et affective (comme celui d’être écouté, entendu, compris, soutenu, vu) qui est vital au même titre que ses besoins physiologiques et qui va rester actif toute la vie.
C’est grâce à ce lien entre l’enfant et le parent que l’enfant pourra (vers12-18 mois) partir à la découverte du monde qui l’entoure, car il sera assez sécurisé intérieurement pour pouvoir s’éloigner de l’objet rassurant (le parent).
Cependant, ces étapes de l’incarnation de l’âme et du développement psychophysique, se passent en général plus ou moins bien, dépendant pour beaucoup de l’état de la mère, pendant la grossesse et après. Ainsi que de la qualité de lien des parents et du climat familial. La sécurité du petit dépendra aussi des circonstances de sa naissance, de son allaitement et de son sevrage. C’est Mme Mélanie Klein (19) qui parle du bon sein et du mauvais sein « Le sein et le lait, qui au début satisfont à la fois l’instinct de conservation et le désir sexuel, viennent à représenter dans l’esprit de l’enfant l’amour, le plaisir et la sécurité. » Le bon sein devient le premier de tous les objets rassurants et gratifiants, l’enfant n’a pas conscience que le sein qui le nourrit. Il fait partie de la mère, d’une certaine façon il aurait la croyance qu’il en est le créateur. Il deviendrait alors le mauvais sein, objet persécuteur, quand le sein ne se présenterait pas à sa demande. Ce qui lui fera contacter la frustration qui l’amènera a la rage. Puis enfin si vraiment il ne vient pas à la résignation. Cela va bien sûr dépendre avant tout de la mère et de sa capacité à répondre aux demandes de son bébé. C’est en cela que D. Winnicott parle d’une mère suffisamment bonne “La mère suffisamment bonne est celle qui, en s’ajustant, répond aux besoins de son bébé mais laisse la place à une forme de frustration, elle n’est ni trop longtemps absente ni envahissante.” C’est en étant ni trop, ni pas assez, que la mère va permettre à l’enfant de contacter le manque essentiel à sa constitution, pour pouvoir gérer plus tard la frustration qui lui permettra d’acquérir l’assurance de l’existence ininterrumpe de l’autre (le parent) et qui lui permettra d’être assez autonome pour gérer les séparations avec la mère (sans se sentir abandonné, rejeté) et plus tard de faire face aux séparations qu’il pourra rencontrer à l’âge adulte en restant entier (j’y reviendrai). Nous sommes donc clairement des animaux de lien, nous avons besoin de ce bon lien pour nous développer seulement comme je le disais plus tôt c’est, à l’évidence, rarement le cas. (possibilité de lire la suite de cet article en cliquant sur le bouton en bas de page)
Notes de bas de page (correspondant aux chiffres entre parenthèses)
2 La contagion du coeur Laurence De Labaume (Massot Editions)
3 Arouna Lipschitz est une philosophe, femme de lettres, conférencière, productrice et réalisatrice française et canadienne.
4 Comprendre et pratiquer la psychologie Biodynamique, Guillaume Brébisson & Marc Brami, édition Interéditions
5 Comprendre et pratiquer la psychologie Biodynamique, Guillaume Brébisson & Marc Brami, édition Interéditions
6 L’amniocentèse est un prélèvement d’une petite quantité du liquide amniotique entourant le fœtus. Il est prescrit pour dépister d’éventuelles anomalies génétiques ou chromosomiques chez l’enfant. (source ameli.fr)
7L’amour scientifié (Broché) Michel Odent est un chirurgien et obstétricien français.
8 Jean Liedloff est une auteure américaine connue pour son livre Le Concept du continuum : À la recherche du bonheur perdu [1975]. Édition Broché
9 La capacité d ‘autorégulation, c’est la capacité de la personnalité primaire à adapter son comportement en fonction des circonstances. P28 Comprendre et pratiquer la psychologie Biodynamique, Guillaume Brébisson & Marc Brami, éditions Interéditions
10 Le moi peau Didier Anzieu, Éditions Dunon 1985
11 Donald Woods Winnicott,est un pédiatre et psychanalyste britannique (source wikipedia)
12 Wilfred Ruprecht Bion, psychiatre et psychanalyste britannique, pionnier de la psychothérapie de groupe, de la psychanalyse groupale et de la théorisation sur la psychose. (source wikipedia)
13 Aux sources de l’expérience, 1979, p.3 (Editions Broché) Wilfred R Bion psychiatre et psychanalyste britannique, pionnier de la psychothérapie de groupe, de la psychanalyse groupale et de la théorisation sur la psychose. (source wikipedia)
14 Dès les premiers mois de la vie, une relation fondée sur le partage des émotions et des sensations se met en place. Elle repose sur les compétences de la mère et surtout sur celles de son bébé, qui est doué pour imiter. Daniel Stern dénomme “accordage affectif” le fait que l’imitation puisse traduire le passage d’états internes de la mère au bébé et, réciproquement, par la contagion d’affects. L’Autre est un double qui n’est pas identique. Daniel Stern
15 Théorie développée par Lacan puis reprise 20 ans plus tard par D.Winnicott
16 L’introjection, est selon S Ferenczi (élève le plus doué de Freud) un mécanisme symétrique et inverse de l’identification projective massive, en deçà de toute capacité auto-érotique, mais plutôt en rapport avec les mécanismes autocalmants du moi.
17 Harry Harlow est un psychologue américain
18 John Bowlby, est un psychiatre et psychanalyste britannique, célèbre pour ses travaux sur l’attachement, la relation mère-enfant. Pour lui, les besoins fondamentaux du nouveau-né qui se situent au niveau des contacts physiques. (source wikipedia)
19 Melanie Klein élève de Freud, psychanalyste austro-britannique, qui s’est imposée à partir de 1925 comme une personnalité importante du mouvement psychanalytique britannique. (source wikipedia)